«L’IA ne va pas remplacer les recruteurs, elle va les augmenter»
16 octobre 2024
Jean-Baptiste Audrerie, co-fondateur du cabinet NEXA RH et spécialiste des technologies RH, a établi un guide des 115 cas d’utilisation des IA en RH. En tant qu’observateur privilégié de l’émergence progressive de l’intelligence artificielle dans les ressources humaines, nous l’avons interrogé sur ces nouvelles tendances et le futur de la fonction RH.
Bonjour Jean-Baptiste. Peut-on déjà faire un état des lieux des enjeux de l’intelligence artificielle générative aux yeux des gestionnaires RH ?
Jean-Baptiste Audrerie : Je remarque déjà que beaucoup sont perdus. Ils n’ont pas le temps de faire cette vigie et ont l’impression que ça n’en finit plus. Il existe en effet des centaines de systèmes payants ou gratuits. Pour clarifier les choses, il faut distinguer deux éléments :
- Les technologies qui embarquent l’IA générative
- Et le « shadow IT », les usages personnels de l’IA générative au travail
D’après ce qu’on lit de part et d’autre, une personne sur deux utilise en effet l’IA générative sur une base régulière dans le cadre professionnel. L’adoption s’est faite a une vitesse impressionnante.
Pour quels usages généralement ?
Jean-Baptiste Audrerie : On retrouve la plupart du temps les mêmes usages, concernant le volet recrutement :
- décrire un emploi
- préparer un affichage
- créer un plan de communication avec les candidats
- créer des grilles d’entrevue
- identifier des compétences
Pour l’instant, c’est très morcellé et beaucoup de recruteurs utilisent ces outils pour des petites tâches. Mais on voit que les systèmes intégrés commencent à arriver sur le marché. 9 solutions sur 10 proposent ou vont proposer prochainement des applications pour des cas d’usage bien précis (adaptation de la description de l’emploi, traduction de l’affichage, création d’une grille d’analyse des besoins, aide à la décision…).
La question qui se pose désormais, c’est qu’est-ce que les organisations proposent pour aider leurs équipes afin d’être plus efficaces ?
Est-ce que l’intelligence artificielle peut avoir une influence sur le marché du recrutement en soi ?
Jean-Baptiste Audrerie : La tension sur le marché est un peu redescendue. Toutefois, le contexte reste toujours aussi difficile : certes, il n’y a plus autant de demandes qu’auparavant… mais il n’y a plus autant d’offres adaptées non plus.
Il faut aujourd’hui passer à un recrutement par compétence. Il n’y a personne qui a fait des études il y a 15 ans en communication sur les réseaux sociaux. De la même manière, personne n’a de certificat en IA générative. Les recruteurs doivent donc chercher des personnes qui se sont constamment adaptées ces dernières années. Le machine learning et l’IA générative peuvent justement les aider à identifier des compétences adjacentes.
Il faut bien voir que le marché de l’emploi a totalement changé. Pratiquement un tiers des emplois aujourd’hui sont en changement complet de compétences. Et des personnes avec ces compétences à jour sur le marché n’existent pas encore. Mais ce n’est pas l’IA qui va toute seule les rejoindre ! Le recrutement est aujourd’hui plus que jamais stratégique.
Que penser des craintes de voir une partie de la fonction RH remplacée par l’IA ?
Jean-Baptiste Audrerie : Prenons un exemple concret. Je peux injecter des éléments dans ChatGPT et en quelques secondes, je peux obtenir une analyse comparative d’un contrat. Est-ce que cela remplace mon travail ? Non, cela m’augmente ! La véritable crainte est à chercher du côté des métiers qui ont une seule tâche stable et à haute fréquence. On peut déjà le sentir dans les centres d’appels par exemple (cf l’entreprise suédoise Klarna dont l’IA fait l’équivalent de 700 emplois dans son service client).
Par ailleurs, je pense que l’IA va permettre d’aider les recruteurs à faire des tâches… qu’ils n’avaient généralement pas le temps de faire ou de bien faire avant. Je pense à tout le suivi des candidats non retenus, aux relances, au sourcing… Soit l’IA va leur permettre de se dégager du temps pour le faire, soit elle va pouvoir le faire directement.
N’oublions pas que le métier de recruteur reste très relationnel. Certes, dans certains secteurs des solutions automatisent de A à Z des recrutements mais uniquement pour des employés horaires. On n’y est pas encore pour des métiers de col blanc.
Comment faut-il voir concrètement cette notion de recruteur « augmenté »?
Jean-Baptiste Audrerie : L’IA est en soi capable d’aller très loin dans l’évaluation. Avec des systèmes de retranscription de video en texte puis de texte en compétence, elle peut rapidement identifier un niveau de compétence à travers une entrevue.
Tout l’enjeu sera de combiner humain et technologie. Autrement dit, d’identifier ce qui est à haute valeur humaine et à valeur ajoutée technologique. Si tu as un processus 100% humain et que tu fais très peu de relationnel, tu perds sur les deux tableaux. À l’inverse, si tu utilises un bon niveau de technologie pour amener au bon moment de l’humain, tu vas avoir de bien meilleur résultat.
Cela amène d’ailleurs à se questionner sur ce qui est vraiment « humain ». Pour les postes horaires, avec des personnes qui occupent déjà un emploi et qui souhaitent le compléter par un temps partiel, est-ce que c’est « humain » de passer par 4 entrevues ? Non seulement on a ici une basse valeur humaine mais, en plus, les candidats ne veulent pas ça.
C’est un peu comme quand tu as une mauvaise interaction au guichet de ta banque. Dans ce cas, tu préfère traiter directement avec l’ATM automatique. Cette réflexion invite à investir dans les bonnes choses au bon moment. Même si, bien entendu, ceux qui veulent aller trop loin dans l’automatisation risquent tout autant d’aller dans le mur.