Les anglicismes vont-ils devenir ringards?
30 novembre 2020
Les anglicismes et le franglais pullulent dans le monde de l’entreprise et se répandent même dans l’intitulé des postes affichés. Tentons de comprendre pourquoi.
Brand and communication manager, Customer success manager, Chief Happiness Officer, Sales representative… Nous ne sommes pas sur un site d’emplois anglais ou américain mais bien français.
Le paradoxe, c’est que ces postes d’apparence anglophones sont bien souvent occupés par des salariés qui travailleront… la grande majeure partie du temps en français !
Pourquoi alors cet usage de la langue de Shakespeare dans les intitulés (voire les descriptions) de poste? On les voit en effet fleurir progressivement dans les offres d’emplois, et plus seulement de la part des startups!
La rédactrice en chef de Welcome to the Jungle (sic), Laetitia Vitaud tente une analyse du phénomène dans ce passionnant article, opportunément intitulé : Pourquoi il faut arrêter les titres des postes en anglais.
Le franglais est omniprésent en entreprise, comme la novlangue et le jargon. Et les titres de postes ne peuvent plus être formulés qu’en anglais pour faire sérieux, » indique-t-elle en introduction.
Gare aux bullshit jobs
Si la tendance n’est pas nouvelle – elle cite ce sketch des Inconnus des années 1990 qui n’a pas pris tant de rides -, elle explique toutefois qu’elle est vraisemblablement sur le déclin car devient moins « cool », à la mesure que les grandes entreprises du CAC40 s’approprient ces codes venus directement de la Silicon Valley.
Par ailleurs, les salariés se rendent de plus en plus compte que ces dénominations s’apparentent parfois plus à un cache-misère.
Plus les titres de postes sont exprimés de manière obscure, plus il y a des chances pour qu’il y ait du bullshit derrière, » assure Laetitia Vitaud.
Pour elle, la nouvelle tendance serait au vintage français plutôt qu’au franglais ringard.
Une étude de chercheurs de l’Université Columbia, aux États-Unis, qui vient tout juste de paraître, apporte, en quelque sorte, des précisions sur le sujet.
Les universitaires se sont intéressés au concept plus global du jargon, dans lequel on pourrait placer évidemment le franglais mais aussi les acronymes (les fameux ASAP, FYI, TLDR entre beaucoup d’autres et pour ne citer que les génériques) ou encore les concepts corporate douteux, voire fumeux (« briser les silos », « vision disruptive », « révolution digitale »…).
La newsletter TechTrash se délecte d’ailleurs, chaque semaine, de ces phrases pompeuses et inutilement ampoulées.
Dis moi ton jargon, je te dirais ton statut
Qu’y apprend-on ? Que ceux qui utilisent le plus de jargons… ne sont pas ceux qui ont le statut le plus élevé dans leur organisation ! Bien au contraire.
Précisons que le statut est ici moins à comprendre comme la position hiérarchique d’un individu que le niveau de respect conféré par ses pairs.
Ce qui fait dire à Olivier Sibony, professeur à HEC Paris, dans Time To Sign Off :
Ceux qui jargonnent, ce sont les individus à faible statut, prêts à risquer qu’on ne les comprenne pas pour mieux démontrer qu’ils maîtrisent les codes. »
Ce dernier parle d’ailleurs de compensation statutaire : plus votre statut est faible, plus vous aurez tendance à jargonner pour essayer de démontrer que vous faites partie, vous aussi, du groupe.
Rappelons ici la maxime de Nicolas Boileau, paru dans son Art poétique :
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément. »
Alors, d’après vous, est-ce que French is the new cool ?
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