Est-on obligé de participer à une vidéo de vie au bureau de son entreprise ?

17 mai 2025
Rien de plus engageant pour une marque que de donner la parole à ses employés pour promouvoir ses produits ou sa marque employeur. Ce contenu généré par les employés (« employee generated content » – EGC) devrait se faire sur une base volontaire. Toutefois, certains managers se montrent insistants… Un employé peut-il refuser ce genre de demande? Nous avons éclairci ce point avec Annie Bourgeois, avocate en droit du travail et de l’emploi de Langlois Avocats.
Isarta Infos : Les vidéos qui montrent la vie au travail sont de plus en plus populaires. Au point que certains employeurs se montrent très insistants. D’un point de vue légal, est-ce qu’un employé peut refuser d’apparaître dans une vidéo sans craindre pour son emploi?
Me Bourgeois : Il y a principalement deux notions de droit qui se recoupent dans cette question. Dans un premier temps, il faut considérer la nature de la relation employeur-employé. En contrepartie d’une rémunération, un employeur est en droit de demander à un employé d’effectuer des tâches, mais ce sont des tâches qui seront généralement précisées dans un contrat d’emploi ou dans une description de poste.
Bien sûr, l’employeur a toujours une certaine flexibilité sur ce qu’il peut demander. Toutefois, dans la grande majorité des cas, il n’est pas prévu dans les tâches d’un emploi type qu’un employé doive participer à du contenu Web. Par exemple, lorsqu’on postule pour un emploi de réceptionniste ou d’adjointe juridique, on ne s’attend pas, a priori, à devoir participer à une vidéo promotionnelle dans le cadre normal de cette tâche.
L’autre notion est celle du droit à l’image. Avant de publier une image ou une vidéo d’un employé, l’employeur doit avoir obtenu un consentement explicite et spécifique à cette fin-là .
Si on revient au premier point, cela veut-il dire qu’un employeur pourrait exiger d’un gestionnaire de médias sociaux, par exemple, de participer du contenu Web, si c’est mentionné de manière explicite dans sa description de poste?
Me Bourgeois : Il faudrait analyser le contexte précis, mais oui, dans une situation où c’est prévu dans les tâches de la personne, ça pourrait être perçu comme de l’insubordination de ne pas le faire, d’où le droit de mesure disciplinaire.
En dehors de ce scénario précis, les employés peuvent-ils se sentir légitimes de refuser de participer à des vidéos ou du contenu promotionnel de produits ou de marque employeur?
Me Bourgeois : Dans la mesure où l’employé ne consent pas à l‘utilisation de son image et que ça ne fait pas partie de ces tâches, l’employeur n’a pas réellement d’assise au niveau juridique pour l‘obliger de participer à des vidéos promotionnelles.
Dans les bonnes pratiques de gestion, l’employeur doit avoir le réflexe de se demander s’il a obtenu le consentement de ses employés pour ces fins spécifiques. Si ce n’est pas le cas, il doit faire cette démarche auprès de ses employés.
Il doit faire la démarche, mais il doit aussi accepter un refus le cas échéant.
Me Bourgeois : Évidemment. Il faut aussi garder en tête que les employés n’ont pas le même rapport avec toutes les plateformes. Demander à des employés de publier du contenu corporatif sur leur compte Instagram privé a une connotation encore plus intrusive pour certains qu’une republication sur LinkedIn.
Avez-vous l’impression que les entreprises ont justement développé ce réflexe ou que ce consentement est pris pour acquis?
Me Bourgeois : D’un point de vue de la société, je crois qu’il y a aujourd’hui une plus grande sensibilité sur tout ce qui a trait au droit à l’image, la protection de la vie privée et les renseignements personnels.
Est-ce que toutes les entreprises ont pris ce virage ? Je ne pourrais pas me prononcer. Une chose est sûre, il y a certainement une sensibilisation et un effort qui va dans ce sens-là .
Avec l’arrivée d’Internet, c’est devenu rapide et facile de publier de l‘information. En contrepartie, on voit maintenant un changement de culture pour s’assurer qu’on respecte les droits de tout le monde, incluant les droits à l’image et à la vie privée.

