Que penser du « binôme de gestion » comme stratégie organisationnelle?

30 septembre 2025
Partager les responsabilités d’un poste entre deux personnes présente divers avantages, dont celui de maintenir le savoir-faire en interne lors du départ d’un employé. Cette stratégie organisationnelle – nommée « job sharing » ou « binôme de gestion » – est de plus en plus discutée, alors qu’elle semble bien présente dans les grandes entreprises du monde anglo-saxon. Nous avons abordé le sujet avec Alexandre St-Jean, président de la firme RH Hélice.
Isarta Infos : Dernièrement, le « job sharing » ou le « binôme de gestion » a fait l’objet d’articles sur The Conversation et Le Point. On y mentionne que 31% des entreprises américaines l’appliquent d’une manière ou d’une autre. Est-ce un modèle que vous voyez souvent ?
Alexandre St-Jean : Il existe un modèle de « binôme de gestion » – disons – plus conventionnel, où l’on crée une co-direction avec un partage des responsabilités avec des personnes en externe et en interne. Par exemple, nous le faisons nous-mêmes quand nous nous occupons un rôle de DRH externe qui accompagne des managers RH déjà à l’interne. Dans ce cas, c’est un modèle assez répandu. Pour le job sharing ou binôme de gestion ‘en interne’, c’est une pratique encore marginale, mais qui gagne en popularité et qu’on propose à certains clients.
Dans quel contexte le proposez-vous?
A. St-J : Quand un rôle demande des compétences rares et variées : on peut alors le scinder entre deux profils complémentaires, qui se partagent le poste au lieu de chercher la perle rare qui a souvent des exigences salariales élevées.
Ensuite, quand le marché nous pousse à être plus créatifs : parfois, un rôle n’a pas besoin d’être défini en temps plein classique, et le partage devient une façon souple et intelligente de combler le besoin et avec de meilleurs talents.
Certaines organisations utilisent le « binome de gestion » pour éviter une perte de savoir-faire ou de connaissances en cas de départ d’un membre important d’une équipe. Est-ce une bonne stratégie?
A. St-J : Dans ce cas, il faut faire attention à ne pas utiliser le binôme de travail comme la seule solution et comme le seul outil pour la gestion des connaissances et la gestion saine des talents et des risques internes. Créer des duos systématiquement sur tous les rôles peut vite devenir rapidement lourd ou contre-productif.
En revanche, cibler les talents ou compétences critiques, instaurer certains binômes, développer des bases de connaissances et planifier des solutions en cas de départ constituent une approche plus équilibrée de gestion des risques, des talents et des savoirs. Dans ce cadre, le binôme est un outil pertinent, mais il ne doit pas être le seul. Diversifier les pratiques comme avec le mentorat, la documentation structurée, la mobilité interne, les communautés de pratique, etc. permet d’éviter les écueils d’une dépendance à un seul mécanisme.
Ce modèle de gestion semble être principalement discuté dans un contexte d’entreprise libérée – est-ce bien le cas ?
A. St-J : Effectivement, c’est beaucoup plus simple dans une entreprise libérée, puisqu’il n’y a pas de rôles figés, mais plutôt des responsabilités. Cela permet de découper les tâches et de créer naturellement des duos ou des porteurs de responsabilités par synergie. Il y a aussi une culture d’imputabilité et de responsabilisation qui est souvent présente dans l’ADN de ce type d’organisation. Des ingrédients nécessaires à la réussite de ce type d’organisation du travail.
Toutefois, il faut rester vigilant dans ces contextes, les duos peuvent devenir indispensables à la dynamique de l’équipe, ce qui rend leur remplacement extrêmement difficile si une personne quitte. Je l’ai vu chez des clients et eu à régler ces situations. La synergie, qui est une force, s’est transformée en fragilité lorsqu’elle devient irremplaçable.
Avez-vous des conseils pour une entreprise qui veut implanter le binôme de gestion ?
A. St-J : Je peux donner trois conseils :
Tout d’abord, clarifier le ‘pourquoi’: est-ce pour gérer les risques liés aux talents et aux rôles critiques? Pour pallier un manque de main-d’œuvre ou réduire la pression salariale? Pour développer le talent? Ou encore pour créer une synergie spécifique autour d’un projet X? La réussite du binômage dépend directement de l’intention qui la sous-tend et de sa pertinence.
Ensuite, commencer petit : cibler d’abord des rôles ou compétences vraiment critiques, plutôt que de déployer le binômage à grande échelle. Cela permet de tester la formule, d’en mesurer l’impact et d’éviter l’effet de lourdeur organisationnelle.
Finalement, instaurer une culture de rétroaction, de confiance et d’imputabilité : évaluer régulièrement l’efficacité des binômes, ajuster au besoin et recueillir la rétroaction des personnes concernées. C’est ce qui permet d’éviter les dérives, de maintenir la pertinence de l’outil et d’ancrer le modèle dans la durée.
