À go, on dit son salaire!
L’auteur et professeur de gestion David Burkus s’attaque au dernier tabou du monde du travail: le salaire. Des arguments pour une politique de transparence des salaires en entreprise.
26 mai 2017
À la maison, le salaire est un sujet tellement délicat que seulement 36 % des travailleurs sondés par CROP en 2016 disaient avoir dévoilé leur revenu à leurs enfants. Au travail, ce pourcentage augmente à 70 % de travailleurs qui affirment avoir déjà discuté de leur salaire avec un collègue, selon un sondage plus ancien qui remonte à 2010. Un seul collègue, pas tous.
Même si les mentalités évoluent, la question du salaire demeure délicate encore aujourd’hui. Si on exclut les emplois gouvernementaux ou syndiqués, la plupart des entreprises n’ont pas de politique de transparence des salaires.
La plupart d’entre nous sommes mal à l’aise à l’idée de divulguer notre salaire, dit David Burkus, dans une conférence TED Talk diffusée en 2016. On n’est pas censé le dire à son voisin, encore moins à son collègue. La raison présumée est que si tout le monde dévoilait son salaire, ça serait la débâcle. Il y aurait des engueulades, des bagarres, il y aurait même des gens qui quitteraient leur emploi…»
Cette impression n’est pas infondée.
Dans une expérience menée à l’université de Californie, une partie des employés a été invitée à consulter le salaire de leurs collègues, alors que d’autres, non. Le résultat: ceux qui ont découvert qu’ils étaient sous-payés ont exprimé une plus grande insatisfaction et un plus grand désir de démissionner que ceux qui continuaient d’ignorer qu’ils étaient sous-payés.
Le problème, c’est que l’inverse est aussi vrai. Une vaste majorité de travailleurs ont l’impression d’être payés en dessus du marché, alors que c’est complètement faux. C’est ce qu’a révélé un sondage de Payscale en 2015: 79 % des employés qui sont payés au-dessus du marché croient qu’ils sont payés au prix du marché ou en dessus. Et 64 % des gens payés au prix du marché croient qu’ils sont sous-payés.
David Burkus souligne l’insatisfaction que cette situation génère en renvoyant à un sondage mené auprès de 70 000 employés américains: 62 % des personnes qui se considèrent sous-payées songent à quitter leur emploi, et ce, peu importe où elles se situent dans l’échelle salariale.
Si on se fie à ces chiffres, on peut en conclure que l’insatisfaction générée par le manque de transparence est de loin plus grande que celle qui suivrait la divulgation des salaires.
Un levier pour négocier
En tant qu’employé, une bonne raison de divulguer son salaire et de connaître celui de son collègue est d’augmenter son pouvoir de négociation. À l’heure actuelle, dit le professeur, les entreprises utilisent à leur avantage une diffusion asymétrique de l’information:
C’est une situation où, lors de la négociation, une partie connaît beaucoup plus d’information que l’autre. Ainsi, en cas d’embauche, de promotion ou d’augmentation annuelle, l’entreprise peut se rabattre sur le sceau du secret pour économiser beaucoup d’argent. Imaginez à quel point il vous serait plus facile de négocier une augmentation si vous saviez le salaire de tout le monde!»
Un frein à l’équité
Le second argument de David Burkus en est un d’équité. Selon lui, c’est tout le secret entourant les salaires qui freine la marche vers une plus grande égalité salariale entre les femmes et les hommes.
Je me rends bien compte que laisser les autres connaître son salaire peut vous faire sentir mal à l’aise, mais n’est-ce pas davantage malaisant de toujours se demander si vous êtes victime de discrimination? Ou si votre femme, ou votre fille est injustement rémunérée? La transparence est la meilleure voie pour l’équité.»
Pour preuve, le professeur pointe vers les employeurs gouvernementaux qui ont l’obligation de divulguer les échelles salariales de leurs employés: aux États-Unis, le déficit de salaire entre les hommes et les femmes passe alors de 23 % (secteur privé) à 11 % (secteur public).
Un impact sur la performance
Les employeurs y trouvent également leur compte, ajoute David Burkus:
Étude après étude, [on se rend compte que] quand les gens connaissent les facteurs qui influencent leur salaire et qu’ils connaissent le salaire de leurs pairs, ils ont plus de chance de travailleur fort pour améliorer leur rendement et ils ont moins de chance de démissionner.»
Tout le monde y gagne!