Racisme systémique en recrutement : une bonne et une mauvaise nouvelle
10 décembre 2020
Le centre Cirano apporte une nouvelle preuve – s’il en est besoin d’une – que les candidatures issues de la diversité subissent un traitement inégal à l’embauche.
La « bonne nouvelle » de l’étude, c’est que le biais d’embauche semble se concentrer à la lecture du CV, pour ensuite s’évaporer à l’étape de l’entretien. Explications.
Bien que l’étude soit réalisée au Québec et sur des participants québécois, ses résultats s’appliquent également au système français, notamment les conseils présentés plus bas.
Brahim Boudardat et Claude Montmarquette, chercheurs pour l’organisme Cirano (basé au Québec), ont mené une expérience de recrutement contrôlée en demandant à 162 personnes de « se mettre dans la peau » d’un recruteur et de sélectionner des travailleurs parmi un bassin de candidatures fictives de travailleurs « franco-québécois » et de québécois d’origine maghrébine.
Deux tiers des participants avaient une formation en gestion des ressources humaines, et 26% avaient une expérience de recruteur. Ces participants étaient appelés à choisir parmi cinq CV qui leur étaient soumis les deux meilleures candidatures qui seraient appelées en entrevue; ils devaient ensuite choisir le candidat qui serait embauché, d’après un rapport de performance à l’entretien.
La mauvaise nouvelle, c’est que, encore en 2020, après tous les articles et les reportages sur le sujet, on constate qu’un « Dupont » continue d’avoir plus de chance d’être appelé en entretien qu’un « Mohammed » ou un « Nguyen ».
Le résultat principal de l’étude est qu’avant même de prendre connaissance des données du CV et selon le nom du candidat, les participants-recruteurs exercent une forte discrimination en défaveur des Maghrébins au moment de la sélection pour un entretien d’embauche. »
Après analyse des données, les chercheurs estiment qu’un Maghrébin a 29 % moins de chances d’être retenu pour un entretien d’embauche qu’un Franco-Québécois.
La bonne nouvelle, c’est qu’une fois traversé ce plafond de verre – la convocation en entrevue – les recruteurs semblent vouloir se reprendre en donnant l’avantage aux candidatures maghrébines qui performent si bien que la chance finale d’un Maghrébin de se faire embaucher est équivalente à celle d’un Franco-Québécois (19,7% versus 20,3%).
(…) s’il réussit à décrocher un entretien d’embauche, le candidat d’origine maghrébine a une probabilité de 59% d’être recruté, contre 43% pour le candidat d’origine franco-québécoise étant donné que les Maghrébins ne comptent que pour 41% des candidatures à cette étape. Ce revirement remarquable dans le comportement des recruteurs (…) montre bien l’importance des informations dont disposent les recruteurs sur la capacité des candidats à performer dans leur poste, mais aussi celle des incitatifs, de la part des employeurs, pour recruter les travailleurs les plus compétents, indépendamment de leur origine. »
Les chercheurs posent l’hypothèse que la discrimination qui a cours lors de la sélection des CV est sans doute causée par un « déficit d’informations » ayant laissé place à l’expression de préjugés de la part des recruteurs.
De retour à la table à dessin
Au delà de cette injustice déjà connue – s’arrêter au nom sur le CV – , l’étude met en lumière quelques éléments troublants par rapport à l’efficacité des bonnes pratiques RH de diversité.
Tout d’abord, une solution mise de l’avant par les promoteurs de la diversité est d’inclure une plus grande diversité à la table de décision; or, parmi les recruteurs, une large place avait été faite aux gens issus de la diversité (47,5% appartenaient à une minorité visible).
En observant leur sélection de candidats, les chercheurs se sont rendu compte que ceux-ci n’avaient pas favorisé les candidatures d’origine maghrébine. Une équipe recrutement et de direction « diversifiée » ne saurait donc régler la question de l’inclusion à elle seule.
Une autre bonne pratique de diversité est de former le personnel de recrutement sur les risques des biais inconscients. Or, il se trouve que deux tiers des recruteurs avaient reçu une formation de ce genre dans leur parcours académique en ressources humaines.
Aussi, les chercheurs avaient effectué des rappels aléatoires pour demander aux recruteurs de se conformer à la charte des droits de la personne. Malheureusement, aucun de ces éléments n’a eu un impact significatif sur le choix des candidats.
Pour trouver résoudre cette impasse, les chercheurs proposent de mettre les recruteurs ont cœur de la recherche de solution et interpelle l’Ordre des CRHA à cet effet.
Après tout, ce sont [les recruteurs] qui évaluent les CV et les compétences des candidats à l’emploi et qui prennent les décisions en matière de recrutement. Leur participation dans la recherche de solutions pour promouvoir l’emploi des immigrants est donc plus qu’importante. Les représentants des employeurs et l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés pourraient faciliter cette collaboration. »
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