Vous êtes-vous déjà méfié du syndrome de « l’aveuglement de l’expert » ?
12 juin 2018
Développer une expertise permet d’évoluer dans son entreprise… mais peut aussi constituer un piège car cela crée une distorsion de la réalité par rapport à ses clients. Synthèse de l’atelier sur le sujet avec Dr Carl Marci, chef des neurosciences chez Nielsen, lors de la conférence C2 Montréal il y a quelques semaines.Â
Être expert d’un sujet peut parfois vous jouer des (mauvais) tours. Notamment en marketing, quand il s’agit de penser ce qui fonctionnera le mieux auprès de ses clients.
Rappelez-vous : il y a quelques jours, nous vous parlions de l’importance des neurosciences pour mieux comprendre le fonctionnement du cerveau et des réactions humaines afin d’améliorer ses publicités.
Cet article faisait suite à la conférence du Dr Carl Marci, neuroscientifique en chef chez Nielsen, à C2 Montréal. La veille, dans le cadre de ce même événement, ce dernier avait animé un atelier intitulé « Comment la neuroscience peut révéler votre aveuglement d’expert ». En voici les faits saillants.
C’est quoi le syndrome de « l’aveuglement de l’expert » ?
Comme son nom l’indique, l’aveuglement (ou la cécité) de l’expert arrive quand, sans s’en rendre compte, on développe un biais, conséquence de l’apprentissage poussé d’un sujet en particulier.
En effet, quand on se spécialise dans un domaine, nous développons, inconsciemment, des « biais d’expertise ». C’est ce qui nous permet d’être plus attentif aux détails et d’avoir une meilleure connaissance du sujet… mais cela change également notre regard et nous éloigne progressivement de l’impartialité.
Vous n’êtes pas convaincu ? Voici trois petites expériences ci-dessous pour mieux vous illustrer le concept.
1. Sur les deux photos ci-dessous, pourriez-vous indiquer quelle personne est une femme et quelle personne est un homme ?
2. Puis, sur la figure ci-dessous, pensez-vous que les cases A et B sont de la même couleur ou sont différentes ?
3. Enfin, sur l’image ci-dessous, pouvez-vous dire quel monstre est le plus grand des deux ?
Place aux résultats !
1. La femme à gauche et l’homme à droite ? Et non, il s’agit de la même personne avec juste le contraste de la photo qui diffère !
2. Que vous le croyez ou non mais les cases A et B, sont de la même couleur. Le contexte (l’effet d’ombre) a trompé nos sens.
3. Les deux monstres sont… de la même taille ! Il s’agit ici d’un biais de perception lié à la profondeur de l’image.
Que s’est-il passé dans ces trois exemples ? Notre intuition nous a tout simplement induit en erreur et nous a fait croire une chose qui n’était pas vraie.
Rappelez-vous des deux modes de notre cerveau : le mode rapide et automatique et le mode lent mais contrôlé. Il y a des moments en effet où nous pensons que nous sommes en contrôle et nous laissons notre cerveau « primaire » gouverner en mode automatique. Mais dans ces cas, il s’est trompé… à cause des biais que nous avons intégrés inconsciemment par le passé (jugement sur les genres, ombre, profondeur etc)
Faire des erreurs de jugement dans les exemples précédents n’est pas grave. Mais quand il s’agit d’un budget marketing de plusieurs dizaines ou centaines de millions de dollars, c’est plus embêtant.
L’expertise rend-elle aveugle ?
Pour illustrer les effets concrets de l’aveuglement de l’expert, le Dr Carl Marci a d’ailleurs évoqué une étude menée pour le constructeur automobile Honda.
Dans le cadre de cette expérience, deux groupes ont été formés : l’un constitué de revendeurs automobiles Honda et l’autre de consommateurs classiques. Les deux groupes devaient regarder une heure de télévision pendant que des capteurs mesuraient leur attention visuelle et leurs réactions émotionnelles.
Première observation : les deux groupes ont réagi de manière similaire à ce qu’ils ont vu, les programmes, les publicités sans voiture et celles avec des voitures autres que Honda.
Mais la différence entre les deux groupes est apparue quand a été diffusée une publicité Honda : les deux groupes n’ont pas du tout réagi de la même manière ! On peut même dire qu’ils n’ont pas vu la même publicité.
Les vendeurs étaient beaucoup plus attentifs à la voiture, à ses caractéristiques et à son prix tandis que les consommateurs ont été plus attirés par les personnages et l’histoire de la publicité.
Ce qui fait dire au chercheur que l’expertise :
- Change la façon dont vous réagissez à un message
- Change votre perception du monde
- Affecte les mots que vous utilisez ou ce dont vous vous rappelez
Nous sommes tous des experts
Le problème est qu’au final, tout le monde développe des biais d’expertise sur des sujets différents. Il est même possible d’introduire des biais comportementaux.
Dr Carl Marci a ainsi dévoilé les résultats d’une expérience assez troublante. On a demandé à des individus de passer une épreuve de mathématiques appelée SAT. Sauf que les consignes au préalable étaient différentes pour les groupes. Pour le premier, il a juste été indiqué que c’était un jeu et pour le deuxième que c’était un test de diagnostic. Donc qu’il y avait un enjeu derrière.
Etrangement, les femmes ont légèrement mieux réussi que les hommes le premier test… alors que les hommes ont eu de bien meilleurs résultats dans la seconde configuration !
Est-ce irrémédiable ?
Pour autant, il est possible de se détacher de ces biais d’expertise.
D’une part, en essayant de s’en rendre compte et de prendre du recul. La méditation et la pleine conscience peuvent aider de ce point de vue.
D’autre part, il faut savoir que les biais sont personnels et peuvent varier selon les profils. Le biais d’un créatif ne sera sûrement pas le même que celui d’un réalisateur, d’un producteur ou d’un photographe par exemple. Avoir plusieurs « experts » dans une équipe permet de neutraliser ces effets.
Enfin, une autre technique bien connue est de se baser sur la première impression de personnes extérieures qui sont préservées des notions marketing préconçues.
La clé étant bien évidemment d’arriver à sortir de son aveuglement d’expert de son produit ou service pour se concentrer sur ce que veut vraiment son consommateur.
En espérant que cet article vous ait ouvert les yeux !
Si vous souhaitez approfondir le sujet, vous pouvez visionner cette conférence donnée en début d’année lors du SXSW aux Etats-Unis :
Olivier Letréguilly
Dans le 2e exemple, c’est le « A » et le « B » qui sont de la même couleur, et non les cases A et B.
Par ailleurs, si l’expérience du SAT illustre bien une forme de biais comportemental, on voit mal en quoi il s’agit d’un biais d’expertise.