Les robots au travail sources d’insécurité professionnelle des travailleurs
12 décembre 2022
On croirait ce titre tout droit sorti du futur. Et pourtant, nous y sommes. Les robots prennent de plus en plus de place en entreprise. En usine, sur la chaîne de montage; au restaurant, au service à la clientèle. Une étude récente de l’Université nationale de Singapour révèle pourtant un portrait en demie teinte.
Les robots sont encore tout neufs, à peine sortis de leur emballage. Et voilà qu’une équipe de chercheurs de Singapour a décidé de mesurer leurs impacts sur le moral et sur la psychologie des travailleurs. Dans un article publié en octobre dernier dans le journal American Psychological Association, une équipe du chercheur Kai Chi Yam a montré – à travers 4 études distinctes – que l’introduction de robots dans un milieu de travail ne se fait pas sans heurts.
Les résultats de notre recherche multiméthode et multiculturel démontre plus spécifiquement que l’adoption des robots peut également contribuer à introduire de l’insécurité d’emploi autant chez les travailleurs occupant des emplois peu qualifiés que des emplois intellectuellement exigeants », précisent les auteurs dans leur conclusion.
Pour faire cette démonstration, les chercheurs ont d’abord croisé des données (étude 1) provenant de 50 États aux États-Unis pour voir s’il existait une corrélation entre la densité de robot par travailleurs et l’intérêt des travailleurs pour les sites de recherches d’emploi tels que LinkedIn, Glassdoor, ZipRecruiter, Indeed et Monster. Ce dernier critère refléterait, selon les chercheurs, la peur de perdre son emploi. Et la corrélation s’est confirmée : plus il y a de robots dans une région métropolitaine, plus les gens sont actifs sur les sites de recherche d’emploi.
Dans une autre expérience, cette fois « de terrain » (étude 3), les chercheurs ont sondé directement un groupe de 118 ingénieurs de Singapor, trois fois par jour, sur une période de deux semaines, pour prendre le poul de leur interaction avec des robots d’usine. Le sentiment « d’insécurité d’emploi » est à nouveau ressorti du lot, cette fois corrélé avec l’incivilité au travail et l’épuisement professionnel.
Malgré l’impact positif démontré des robots sur la réduction des coûts d’opération, ça peut aussi venir avec des coûts psychologiques inattendus », concluent les chercheurs.
Déboulonner le mythe « des pertes d’emploi »
De l’aveu des chercheurs, l’étude de Singapour s’intéressait à la présence des robots au travail sous l’angle très précis « de l’insécurité d’emploi ». De la peur découlant de la fameuse manchette : « Les robots vont faire disparaître votre emploi ». Or, les chercheurs ont trouvé deux éléments intéressants à cet égard.
D’une part, les données analysées aux États-Unis montrent qu’il n’y a pas de corrélation entre une forte densité de robots et un taux de chômage sur ces marchés. Dans la discussion de l’étude 1 ci-haut mentionnée, les chercheurs constatent que l’augmentation de la densité de robots de 2010 à 2015 n’a eu aucun effet sur le taux d’emploi, dans un sens comme dans l’autre. La peur de perdre son emploi n’est donc pas ancré dans la réalité.
Cela semble impliquer que les capacités des robots augmentent à un rythme accru, tout autant que les occasions qu’elles génèrent. À tout prendre, alors que l’exposition aux robots mène à des sentiments d’anxiété liés à l’insécurité d’emploi, ces sentiments sont peut-être dus à une appréciation subjective plutôt qu’à de vraies pertes d’emploi. »
D’autre part, les chercheurs soutiennent que cette peur peut se « traiter ». Dans la quatrième étude, l’équipe de recherche a réussi à réduire l’insécurité d’emploi d’un groupe de travailleurs en leur proposant un exercice d’affirmation de soi.
Pour se faire, les chercheurs ont recruté 400 employés d’une entreprise, qui ont été divisés en un groupe de contrôle et un groupe test. Avant d’interagir avec des robots, les employés du groupe test devaient remplir un formulaire où ils devaient classer et de décrire leurs valeurs les plus chères.
Les employés veulent avoir une image positive d’eux-mêmes; et nous encourageons les gestionnaires et les leaders à utiliser des interventions d’affirmation de soi aussi souvent que possible. Les effets positifs d’une intervention axée sur l’affirmation de soi peut se faire sentir jusqu’à un an après l’intervention, parce « qu’un moment de validation lors d’une transition menaçante peut changer une trajectoire », explique les chercheurs.
Aux dires des technophiles, les robots devaient nous rendre la vie « plus facile », en nous délestant des tâches « ingrates », pour ainsi nous permettre de nous concentrer sur les tâches à valeur « ajoutée ». On se rend maintenant compte que, au-delà de ces beaux discours, les travailleurs ont une sensibilité… dont il faut aussi tenir compte.